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"Chroniques transatlantiques"
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2 octobre 2005

Cela se passe près de chez nous

Les partisans de la décentralisation avancent généralement l’idée qu’une gestion au plus près des administrés est mieux à même de répondre à leurs attentes. Ce qu’ils omettent de signaler en général, c’est que plus le pouvoir est « proche » du citoyen, plus il a de chances d’être présent dans la vie quotidienne de chacun. En revanche, plus le pouvoir est « éloigné » du citoyen, plus il laisse celui-ci tranquille. Pour de multiples raisons : ignorant des aspirations locales, le pouvoir central n’imagine même pas devoir y répondre ; ayant trop de questions à régler, il n’est pas en mesure d’entrer dans le détail de la vie de chacun ; faisant en général appel à des agents nommés et non élus, on peut compter sur ces derniers pour en faire le moins possible et pour, finalement, laisser les citoyens tranquilles.

En résumé, on a le choix entre un pouvoir local très présent, mais aux tendances parfois exagérément interventionnistes, voire liberticides, et un pouvoir central moins interventionniste, mais intervenant souvent mal à propos.

La vie dans notre petite communauté (ensemble de ce que l’on appellerait des lotissements en France : vaste enchevêtrement de rues parsemées de maisons, le tout étant strictement privé, voies comprises), appelée « Spring Creek » (« le ruisseau du printemps », comme c’est joli…), illustrera mon propos.

Spring Creek est intégralement privée et est gérée pour tout ce qui concerne les parties communes (voies, lacs, parcs, jardin d’enfant, services d’eau, d’électricité, des eaux usées, …) par un Comité dont les membres sont élus par les propriétaires des différentes habitations se trouvant dans la Communauté. On a un Président, un 1er Vice Président, un 2ème Vice Président, un Trésorier, un Secrétaire. Ces gens-là se réunissent régulièrement et publient « Spring Creek News ». Le problème c’est qu’ils semblent prendre leurs fonctions très à cœur, et qu’ils sont américains, ce qui veut dire que : « la loi, c’est la loi ! »

Donc, que font-ils lorsqu’ils se réunissent ?

Ils pondent des réglementations, pardi ! C’est structurel, ils ne peuvent pas s’en empêcher, ils sont là pour cela. Vous les imaginez, vous, se réunir et dire : « non, vraiment, Spring Creek est une jolie communauté peuplée de gens formidables, et nous n’avons pas grand-chose à décider parce que la situation est excellente ». Impossible. Ce serait nier l’importance des belles fonctions pour lesquelles ils se sont fait élire ! Cela conduirait sans doute à des révisions existentielles majeures chez certains des membres du Comité qui trouvent en lui un sens à leur existence. Il leur faut donc débusquer des problèmes, et ensuite proposer des solutions pour résoudre ces problèmes. Eventuellement proposer des sanctions pour faire entrer les récalcitrants dans le rang, tant il est vrai que sommeille un petit chef fasciste en chaque membre du Comité (vous avez dû observer cela chez nos contractuelles, les « pervenches »).

La Loutre et moins avons été appréhendés dès les premières semaines suivant notre arrivée. Le délit : ne pas laisser la lumière éclairée à l’extérieur de la maison. Il n’y a pas d’éclairage public, de sorte que si les résidents n’éclairent pas à l’extérieur de leur maison, Spring Creek reste dans l’obscurité. Nous n’allumions que lorsque nous recevions des amis, ou lorsque l’un ou l’autre devait rentrer de nuit. En revanche, nous ne laissions pas l’éclairage durant toute la nuit, par souci d’économie d’énergie, et puis, par habitude en fait. Nous avons donc eu la visite d’un membre du Comité qui effectuait une ronde de nuit afin de vérifier si toutes les maisons étaient bien éclairées à l’extérieur. Il sonne à notre porte, se poste à trois mètre de la porte (au cas où je sortirais avec un fusil à pompe, sans doute), et m’éblouit le visage avec sa Maglite géante lorsque j’ouvre la porte. Il me fait savoir sur un ton n’appelant pas la contradiction que nous sommes en contravention avec le règlement intérieur de  Spring Creek, règlement dont je n’avais même pas eu copie. Raison de cet éclairage obligatoire ? Lutte contre la délinquance (les voleurs n’aiment pas la lumière), sécurité (les ambulances et pompiers ont plus de facilité pour se repérer ainsi), confort (c’est vrai, c’est plus joli quand c’est éclairé). Bon, j’admets que ces raisons sont valables. C’est seulement la façon dont le rappel à l’ordre a été effectué que j’ai moyennement apprécié.

Un deuxième point du règlement intérieur m’a un peu surpris, c’est celui consistant à interdire le stationnement des véhicules dans la rue. Ils doivent être garés dans les garages ou sur les rampes conduisant aux garages, mais pas dans la rue. Raison invoquée ? Sécurité (des enfants pourraient se blesser en égarant un ballon ou des jouets sous les véhicules stationnés et en voulant les récupérer…Ils se font un peu des films, quand même),  et … sécurité (les véhicules de police ou de pompiers qui viendraient ne doivent pas voir leur progression entravée par un quelconque obstacle. Vue la largeur de la rue, il n’y a pas trop de danger. A la limite, la police peut toujours faire appel à un hélicoptère Blackhawk tueur de char pour dégager le terrain, ils savent faire, je crois).

La Loutre et moi nous sommes signalés à l’attention du Soviet Suprême de Spring Creek à une autre occasion, dont je ne suis pas fier : il nous est arrivé, une fois au mois d’avril, de ne pas tondre la pelouse durant deux semaines consécutives. Je sais, vous hochez la tête, vous demandant ce qui a bien pu nous passer par la tête (je suis seul responsable, la tondeuse, c’est mon job). Il se trouve seulement que j’avais mes examens de fin d’année et que, dans la hiérarchie des priorités, tondre la pelouse ne se trouvait pas vraiment en pole position. Nous avons donc reçu un courrier de la part de la Kommandantur de Spring Creek nous avisant que si nous ne tondions pas notre gazon régulièrement, la Communauté ferait appel à une entreprise privée dont elle nous facturerait ensuite les services. Le gazon était tondu le jour suivant l’arrivée du courrier.

La dernière livraison de « Spring Creek News » prouve que les Big Brothers locaux ne se reposent jamais. Deux nouvelles décisions viennent d’être adoptées.

La première consiste à demander à la police municipale de se livrer désormais à des contrôles de la vitesse des automobiles dans les rues  de Spring Creek. Il leur est demandé de verbaliser les contrevenants. La vitesse est limitée à 25 miles/heure, et franchement, je n’ai jamais vu de Fangio rouler à tombeaux ouverts et mettre en péril la vie de quiconque.

La seconde interdit désormais de nourrir les oies et canards vivant aux abords de l’étang ailleurs qu’aux abords dudit étang. Les animaux se déplacent pourtant fréquemment dans les propriétés, marchent sur les pelouses, ce qui est plutôt sympathique. La Loutre se fait fort d’ailleurs de leur apporter du grain non pas au bord de l’étang, mais dans notre jardin même. C’est désormais interdit. Raison ? Les oies et canards sont bruyants, répandent leurs déjections partout (la nature est mal faite : « Geese poop up to eight pounds a day. Imagine having that in your yard and driveway if you didn’t choose to have it there »), et surtout, sont dangereux. « Spring Creek News » nous les décrit comme des animaux « agressifs » qui n’hésitent pas à s’attaquer aux être humains, et plus particulièrement aux enfants. On se demande ce qu’attend Spielberg pour tourner « Les becs de l’étang », juste pendant aux « Dents de la mer »…

Vous l’aurez compris, La Loutre et moi organisons la Résistance aux menées totalitaires du Comité de Spring Creek. Nous avons commencé dès le début de notre présence ici en mettant un drapeau français dans notre jardin. Nous allons donc mettre en place un programme de menées subversives visant à la désorganisation de l’adversaire (vos idées sont les bienvenues). Mais, chut ! Restez discrets sur nos intentions, car nous entrons dans la clandestinité. Nous ferons tout pour nous conformer en apparence aux réglementations iniques, afin de mieux couvrir notre combat libérateur. Mais, méfiez-vous de l’eau qui dort…

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Commentaires
J
Bienvenue au pays de la liberté !!
K
Installez plusieurs oies blanches plastiques illumées sur la pelouse (je sais que ces lampes existent là-bas). Et éteignez la lumière extérieur.
"Chroniques transatlantiques"
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