Blouses blanches vs. Robes noires

Face au développement des affaires de responsabilité médicales, les médecins ont appris à se méfier des avocats : mise en responsabilité conduisant à des condamnations civiles lourdes, augmentation corrélative des primes d’assurance, désertification de certaines spécialités jugées trop risquées (chirurgie, obstétrique, anesthésie, …) et, peut-être plus grave encore, mise en péril du statut des médecins dans la société, … Non, décidément, les médecins ne sont pas les amis des avocats. D’un côté comme de l’autre de l’Océan atlantique, d’ailleurs, tant il vrai que dans ce domaine comme dans bien d’autres, les tendances observées aux Etats-Unis s’étendent à la France.

Dans ce contexte, ce qui se passe actuellement au St. Luke’s Episcopal Hospital de Houston est assez cocasse. Jugez-en plutôt.

Imaginez avoir été poursuivi en justice par l’un de ces avocats qui ont bâti leur fortune avec des affaires de responsabilité médicale et, plusieurs années plus tard, voir l’administration de l’établissement dans lequel vous travaillez décider de rendre hommage à ce même avocat en donnant son nom à l’hôpital…

C’est ce qui arrive à Houston (Texas), où le très talentueux et très réputé avocat John O’Quinn a fait don de 25 millions de dollar à l'hôpital de la ville (tout de même), et où l’administration de l’hôpital a décidé de le remercier en donnant son nom au bâtiment principal.

Le geste de remerciement a été diversement apprécié du personnel médical de l’établissement de soin, c’est le moins que l’on puisse dire !

« Il est insultant pour nous que l’argent que nous avons gagné – et qui nous a été extorqué après que nous ayons été poursuivi en justice par lui – serve à donner son nom à un bâtiment médical dans lequel nous travaillons au quotidien » peut-on lire dans la pétition envoyée au directeur de l’hôpital.

Selon le Dr. Priscilla Ray, initiatrice de la pétition et psychiatre de profession, O’Quinn a poursuivi en justice de nombreux médecin de l’hôpital dans un vaste dossier de class action (action en justice réunissant de nombreux clients victimes d’une même pratique ou d'un même produit défectueux et aboutissant souvent au versement de considérable dommages et intérêts) portant sur des poses d’implants mammaires. Même si l’affaire n’est pas allée en justice car elle a été abandonnée en cours de procédure, les médecins disent avoir subi un préjudice financier importants pour avoir dû organiser leur défense et notamment engager des frais d’avocats significatifs.

« Peut-être ignorez-vous l’intensité du ressentiment de nombreux médecins à l’encontre de M. John O’Quinn, » poursuit la pétition. « La première source de son formidable enrichissement est à trouver dans la représentation de plaignants dans des affaires de responsabilité médicale et de responsabilité du fait des produits ». La pétition prétend aussi que O’Quinn n’hésiterait pas à engager des procédures peu sérieuses sur le fond dans le seul but d’aboutir à un règlement transactionnel avantageux. En tant qu’avocat, je suis très choqué que l’on puisse imaginer que certains confrères puissent se livrer à de tels agissements…

John O’Quinn (photo supra) est un tort lawyer de premier plan : major de la faculté de droit de Houston, rédacteur de la Houston Law Review, champion de nombreux concours de plaidoirie, il a fondé un cabinet d’avocat, O'Quinn Laminack & Pirtle, qui a fait gagner à ses clients plus de 20 milliards de dollars de dommages et intérêts en décisions de justice et règlements transactionnels au cours de la dernière décennie. Quand on sait que les avocats de ce type sont rémunérés en fonction du résultat – 10 à 40 % de la sommes obtenue en moyenne, soit davantage que ce qui est autorisé en France – on peut avoir une petite idée de la fortune de M. O’Quinn.

Les 25 millions de dollar dont il a fait don serviront à la rénovation et à la construction des bâtiments ainsi qu’à l’équipement médical de l’hôpital. Ce n’est pas de l’argent sale. Il résulte seulement des justes compensations que les tribunaux ont entendu attribuer à des patients victimes d’erreurs médicales qui les laisseront bien souvent atteints dans leur chair jusqu’à la fin de leurs jours. Y a-t-il de quoi traiter M. O’Quinn comme un pestiféré ? En fin de compte, son attitude n’est-elle pas d’une grande cohérence ? En donnant une partie de sa fortune à l’hôpital de sa ville, il ne rachète aucun crime imaginaire, mais reste plutôt dans la continuité d’une pratique professionnelle qui l’a conduit à agir avec ses outils (la justice et le droit) afin de parvenir à la sanction des erreurs médicales et, finalement, à une amélioration des pratiques en vigueur.

La justice reste ainsi la seule limite au pouvoir technique du médecin sur ses patients. Il n’y pas de pouvoir sans contre-pouvoir, n’est-ce pas ? Qu’en pensent les nombreux médecins (M. Marquette Père, Christian Troy…) et avocats de ma connaissance lecteurs de ce blog ?

Ps : Le titre de ce post résulte d’une facilité journalistique me conduisant à vouloir faire de bons mots… Mais il est aussi inexact, les avocats américains ne portant pas de robes. Quel honte ! Je ne vois pas bien l’intérêt d’être vêtu comme tout un chacun.

Comments

[christain troy]

je réponds de façon consensuelle mais c'est pour mieux endormir l'ennemi!!
Quant à l'hopital, il se nommera Estaing tout court, c'est déja pas mal pour un homme disparu il y a25ans

[Marquette]

Dis-donc, si tu réponds de façon aussi consensuelle à mes provocations, il va falloir que je passe à la vitesse supérieure, et je te préviens, cela va devenir ugly ugly !!
Sinon, c'est vrai pour l'hôpital, ils ne vont même pas attendre que Giscard soit passé dans un autre monde ? Tu me diras, il a déjà des avenues dans bon nombre de capitales africaines... Plus précisément, l'établissement s'appellera "Estaing" ou "Giscard d'Estaing" ? Et Anémone dans tout cela ?

[christian troy]

les avocats et les médecins sont les meilleurs amis du monde puisqu'ils ont un même but, altruiste, le bien de leurs clients/patients en mettant tout en oeuvre pour y parvenir, quelque soit les moyens pour l'un, avec les moyens disponibles pour l'autre.
Qu'un homme aussi bon que celui décrit plus haut est son nom pour illustrer un nouvel hopital pourquoi pas...celui dans lequel je vais travailler dans quelques années va se nommer "le nouvel hopital Estaing"...dans la ville qui produit une espèce de cercle manufacturé à partir de sève d'hévéa, cela a de la gueule.
Moi, je n'ai pas de souci à me faire puisque je ne suis qu'entouré de gens qui me veulent du bien: des avocats et des notaires!!!