Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
"Chroniques transatlantiques"
"Chroniques transatlantiques"
Derniers commentaires
Archives
1 juillet 2007

"D'où viennent les néo-conservateurs ?", de Francis Fukuyama

Le qualificatif de "néo-conservateur" est désormais conçu et perçu comme une insulte, les très nombreux opposants à la guerre d'Irak voyant dans ce conflit le résultat des théories développées par les néo-conservateurs. "Néo-conservateur", pour certains, est devenu synonyme de favorable à George Bush, à l'impérialisme américain, et au choc des civilisations.

En réalité, la plus grande confusion existe dans l'opinion publique quant à la définition du néo-conservatisme (certains ont même qualifié Nicolas Sarkozy de néo-conservateur...), comme il en va bien souvent lorsqu'une théorie issue des milieux universitaires vient à être reprise à grande échelle. La déformation de la théorie constitue en quelque sorte la rançon de son succès.

Le propos du petit ouvrage de Francis Fukuyama est de présenter les points cardinaux de la doctrine néo-conservatrice et d'en rappeler les origines. Il aborde aussi la question de savoir si le relatif échec de l'opération irakienne constitue un démenti de la validité des idées néo-conservatrices et si les néocon peuvent se voir imputer les résultats de la politique américaine en Irak. Comme vous brûlez d'impatience de connaître la réponse à ces questions, je vous le dis tout net : les idées néocon restent valides nonobstant les ratés américain au Moyen-Orient, lesquels ratés ne sont en rien imputables aux théoriciens néocon, mais à des erreurs stratégiques du commandement américain.

Fukuyama1

Les racines du néo-conservatisme

Le néo-conservatisme est apparu aux Etats-Unis, dans des universités de la côte Est, au sein de milieux d'intellectuels juifs pour la plupart, de gauche. Ce qui a uni au début le petit groupe de jeunes universitaires était un anti-communisme virulent, raison pour laquelle ils ont fini par se détacher des Démocrates, dont ils étaient originellement, et auxquels ils reprochaient une trop grande complaisance à l'égard du communisme.

Mais pour faire court, ce qui a rassemblé les néocon au début, juste après la Seconde Guerre Mondiale, ce fut de se dire que ce qui s'était passé en Europe avec l'émergence des totalitarismes, et notamment du nazisme, ne devait pas se reproduire. Le "plus jamais ça" est le fondement du néoconservatisme, doctrine de politique étrangère fondée sur la morale suivant laquelle, en tant qu'hommes (et d'hommes occidentaux singulièrement), nous avons le devoir de défendre la liberté et les droits fondamentaux de tous les êtres humains, où qu'ils soient, et quel que soit le régime politique sous le joug duquel ils ploient.

Une autre idée néocon est que "la politique étrangère reflète les valeurs de la société qui la met en oeuvre. Les régimes qui traitent injustement leurs propres ressortissants ont toutes les chances d'agir de même envers les étrangers" (p. 34). Dans ces conditions, on ne peut se contenter de mesures cosmétiques à l'égard des pays despotiques, mais il faut mettre en place un véritable changement de régime, qui, seul, permettra l'apparition de la démocratie.

Si l'on prend un exemple historique contemporain, il est bien évident que les démocraties de l'Est de l'Europe n'étaient pas réformables, mais que seul l'effondrement du régime communiste pouvait conduire à  l'émancipation des peuples. Aujourd'hui, il est tout aussi vain d'espérer de réels progrès consécutifs aux pressions exercées à l'encontre de la Corée du Nord, de Cuba, de la Chine, ou de l'Iran. Il est bien possible de parvenir ponctuellement à des résultats, mais seule la destruction des régimes en place permettra la libération de ces pays.

Le néo-conservatisme s'oppose à la doctrine réaliste

Le néo-conservatisme est à l'opposé de la real politik prônée par un Henri Kissinger dans les années 60-70. Fukuyama rappelle que les réalistes partent du principe que toutes les nations luttent pour la suprématie et que le régime politique de ces nations n'est pas le plus important. "Les réalistes ne croient pas que la démocratie libérale soit une forme potentiellement universelle de gouvernement, ou que les valeurs humaines qui la sous-tendent soient nécessairement supérieures à celles qui sous-tendent les sociétés non démocratiques. De fait, ils mettent en garde contre les croisades de l'idéalisme démocratique, ce dernier pouvant devenir, selon eux, dangereusement déstabilisant" (p. 48).

Les quatres principes du néo-conservatisme

  1. La conviction que le caractère interne des régimes a de l'importance et que la politique étrangère doit refléter les valeurs les plus profondes des sociétés démocratiques libérales. La lutte contre le communisme ou contre le totalitarisme islamiste n'est pas seulement un combat entre puissances en vue d'instaurer une domination, mais une lutte d'idées et de valeurs.

  2. La conviction que la puissance américaine doit être utilisée à des fins morales et que les Etats-Unis doivent rester engagés dans les affaires internationales. Cela vaut aussi pour l'Europe, évidemment, mais les responsabilités des Etats-Unis à l'égard de l'avenir du monde et de l'humanité sont plus grandes car ils sont les plus puissants.

  3. Une défiance à l'encontre des projets d'ingéniérie sociale, tel le communisme, qui visent à tout régenter. Les néo-con ne sont pas à proprement parler des Libéraux (le néo-conservatisme n'est pas une théorie économique mais une doctrine de politique étrangère), mais ils s'en rapprochent sur ce point précis.

  4. Le scepticisme au sujet de la légitimité et de l'efficacité des institutions internationales pour imposer la sécurité et la justice. De Gaulle, en parlant du "machin" pour désigner l'ONU ne signifiait pas autre chose. Il faut dire que les organisations internationales ont toutes les raisons d'être des freins à l'expansion des droits de l'homme et de la démocratie, dans la mesure où les pires dictatures y siègent (au premier lieu desquelles la Chine, et, dans une moindre mesure la Russie, au sein même du Conseil de sécurité) et ont voix au chapitre. On l'observe bien au Darfour actuellement, où la Chine protège le régime de Khartoum pour sécuriser ses approvisonnements en matières premières.

Enfin, Francis Fukuyama revient sur sa théorie sur "la fin de l'histoire", et l'explicite, ce qui apparaît là encore bien utile, dans la mesure où elle a souvent été incomprise, voire moquée.

En tout état de cause, je ne sais pas s'il a raison, mais j'ai envie de croire que "la démocratie est appelée à s'étendre universellement sur le long terme" (p. 77). Une lecture salutaire.

Resized

D'où viennent les néo-conservateurs ?, de Francis Fukuyama, Grasset, 2006, 92 p.

Publicité
Commentaires
K
Le néo-giscardisme, c'est Sarkozy qui l'incarne. Le livre de Francis Fukuyama m'a lair très intéressant.
P
A quand l'avènement d'un néo-giscardisme ?
B
Un commentateur a écrit que la victoire de Nicolas Sarkozy était le signe de l'émergence possible d'un néo-conservatisme au coeur de l'Europe. J'espère que les faits vont lui donner raison.
"Chroniques transatlantiques"
Publicité
Newsletter
Publicité