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"Chroniques transatlantiques"
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2 août 2005

Roberts et l'avortement

Alors que le parcours, les décisions et les opinions exprimées par John Roberts sont passées au tamis, il apparaît que l’un des angles d’attaque choisi par la gauche soit la position de Roberts sur l’avortement.

En effet, Roberts est l’auteur d’un document rédigé à ce sujet alors qu’il appartenait à l’administration de Bush senior. Ainsi, il a écrit qu’il estimait que le fameux arrêt Roe contre Wade rendu par la Cour suprême des Etats-Unis en 1973 (arrêt reconnaissant la possibilité d’avorter, avant que cette possibilité ne soie reconnue en France en 1976, faut-il le noter) devait être cassé car il ne pouvait être trouvé aucun soutien à cette décision ni dans le texte, ni dans la structure, ni dans l’histoire de la Constitution américaine.

Les défenseurs de Roberts indiquent que ce document ne permet pas de connaître la véritable opinion de Roberts sur le sujet, car il ne faisait que refléter la politique de l’administration Bush de l’époque. A l’inverse, les opposants à Roberts soulignent que sa femme est très engagée dans les mouvements anti avortement (Pro Life), et que lui-même est…catholique (ce qui est perçu comme inacceptable par certains excités de par et d’autre de l’Atlantique) !

Cependant, là n’est sans doute pas la question. Ce qui compte, c’est la philosophie juridique dont se réclame le prétendant à un poste de juge à la Cour suprême.

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Qu’entend-on par là ? Trois questions importent principalement.

La première question est la suivante : le juge appartient-il à la branche textualiste (ou encore à sa variante originaliste) ou à la branche interpretationniste ? La première catégorie regroupe elle-même des sous-groupes. Ainsi certains considèrent que seul le texte de la constitution américaine doit être pris en considération, à l’exclusion de tout autre critère d’interprétation (évolution des mœurs, contexte politique, situation économique, équité, progrès de la science, …). D’autres, les originalistes, estiment que c’est la volonté des rédacteurs de la constitution qui prime : à l’aide des travaux préparatoires, des débats tenus lors de la constituante, des exposés des motifs, les intentions originelles des rédacteurs de la constitution sont recherchées. Ces deux courants se combinent avec l’existence d’un courant selon lequel seul le texte de la constitution compte, ses termes ne pouvant être interprétés qu’à la lueur de la volonté des rédacteurs de la constitution et conformément au sens qu’ils avaient au moment de la rédaction (soit il y a plus de deux cent ans, la constitution américaine ayant été adoptée en 1787). Personnellement, je trouve que c’est la seule technique valable. Il se trouve qu’elle est préférée aux Etats-Unis par certains des juristes les plus conservateurs, mais elle me semble la meilleure, car elle seule privilégie la fidélité aux intentions originelles.

Aux originalistes et textualistes s’opposent les interpretationnistes. Ceux-ci considèrent que la constitution a plus de 200 ans, que le monde a bien change depuis, à tous égards, et qu’il faut faire évoluer la constitution avec son temps. A des degrés divers, ce courant domine aux Etats-Unis depuis les années 1930.  La grande faiblesse de cette théorie, c’est que ce n’est plus du droit, mais de la politique. Or dans une démocratie, il ne peut revenir qu’au peuple de décider des questions les plus importantes et non aux juges, même compétents. Il est normal que le juge harmonise l’application des textes juridiques, comble certains vides, résolve des contradictions inévitables. Mais lorsqu’il s’agit de consacrer de nouveaux droits, de nouvelles libertés, il doit céder la place au législateur, seul détenteur de la légitimité démocratique.

On m’objectera sans doute que si les interpretationnistes n’étaient pas intervenus, les Etats-Unis connaîtraient encore l’esclavage, la ségrégation raciale, et que l’avortement serait toujours interdit.  C’est faux.  Car si la constitution américaine dans sa forme originelle s’opposait aux évolutions que l’égalité raciale et les législations portant sur les mœurs ont connues, il était toujours possible de modifier tel ou tel point de la constitution. C’est d’ailleurs ce qui est arrivé avec la suppression de l’esclavage après la Guerre de sécession.

La seconde question, est celle de savoir si le juge a une interprétation large ou restrictive des pouvoirs de l’autorité fédérale. Cette question est très liée à la précédente, dans la mesure où le pouvoir fédéral ne dispose aux Etats-Unis que des pouvoirs que les états fédérés veulent bien lui déléguer. La compétence de principe appartient aux Etats fédérés, l’Etat fédéral voyant son aire d’intervention limitée aux secteurs énumérés dans la constitution. Il demeure que le XXeme siècle a vu une interprétation particulièrement extensive des pouvoirs fédéraux afin de renforcer l’autorité de Washington. Le débat est cependant loin d’être clos et, s’agissant de l’avortement, bien des juristes considèrent que cette question devrait être réglée au niveau de chaque état plutôt qu’au niveau fédéral. C’est d’ailleurs le cas dans l’Union européenne où des législations disparates demeurent entre certains Etats très restrictifs en matière d’avortement (Irlande, Portugal, Allemagne) et ceux plus laxistes (Royaume-Uni, Pays-Bas).

La dernière question est celle de savoir si le juge montre une grande déférence envers la jurisprudence passée de la cour suprême, ou s’il s’estime libre d’impulser d’importants revirements, même de jurisprudences solidement établies. John Roberts a fait preuve d’une grande prudence à ce sujet lors des auditions auxquelles il a été soumis en 2003 préalablement à sa désignation au poste de juge d’appel fédéral. Alors qu’on lui demandait s’il considérait que Roe/Wade était maintenant le droit positif aux Etats-Unis, il a répondu qu’il n’y avait rien dans ses conceptions juridiques qui l’empêchait d’appliquer fidèlement et pleinement ce précédent. Sous entendu, « quelles que soient mes convictions à l’égard de l’avortement, je raisonnerai en juriste et je respecterai ce qui est la loi du pays depuis maintenant 30 ans ». Que lui demander de plus ?

En fait, la question lui était mal posée, car Roe/Wade n’est plus le droit positif en matière d’avortement aux Etats-Unis depuis un arrêt Casey de 1992. Aux termes de cet arrêt, le droit d’avorter est reconnu, mais les états disposent d’une large marge d’appréciation dans son application. Il leur est seulement interdit d’imposer un fardeau injustifié à une femme souhaitant procéder à une interruption volontaire de grossesse. Ainsi, l’obligation de laisser 24 h de réflexion à une femme qui a manifesté son souhait d’avorter est-il conforme à la législation, tout comme les obligations d’information à la charge du médecin (geste médical effectué et ses dangers, mais aussi alternatives à l’avortement disponibles). En revanche, a été considéré comme un fardeau injustifié le fait d’obliger la femme à recueillir le consentement écrit du père présumé de l’enfant.

Ainsi, si la législation concernant l’avortement devait bouger aux Etats-Unis, ce ne serait sans doute pas dans le sens d’une interdiction pure et simple de l’avortement, mais plutôt dans celui d’un encadrement plus strict de ses conditions de mise en œuvre.

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