Quelques réflexions sur Katrina
La première réaction à l’effroyable désastre survenu il y a quelques jours en Louisiane, Mississipi et Alabama est la solidarité à l’égard du peuple américain. Leur sort ne peut laisser indifférents les Français vivant aux Etats-Unis. Immergés tout au long de l’année au milieu de ce peuple si accueillant, nous sommes affectés par ce qui les affecte, blessés par ce qui les blesse.
La catastrophe est d’une ampleur exceptionnelle. Plusieurs villes, dont la Nouvelle-Orléans, ont été littéralement rayées de la carte, l’équivalent de la moitié de la superficie de la France a été recouverte par les eaux, plus de dix milles morts (chiffres à préciser) sont à déplorer, des centaines de milliers de personnes ont été déplacées et ne pourront pas rentrer chez elles avant plusieurs semaines ou plusieurs mois. Je ne parle pas des pertes matérielles : logements, infrastructures, unités de production, tourisme, services publics, agriculture, … Les plaies ne seront pas cicatrisées avant longtemps. Cet inventaire bien connu de la situation actuelle me paraît nécessaire pour rappeler la gravité de la situation et son caractère exceptionnel. Les observations qui suivent découlent de ce constat initial.
1 – Les critiques diffusées dans les médias relatifs à la lenteur ou à l’inefficacité des secours manquent de sérieux. Il ne fait pas de doute que les pouvoirs publics ont été surpris par la dimension de l’ouragan. Nul cependant ne pouvait être suffisamment préparé pour faire face à un choc de cette dimension. Imaginons un instant la moitié de la France recouverte par les eaux : notre pays ne s’en relèverait pas.
2 – La responsabilité dans l’impréparation d’une situation dont l’éventualité était connue depuis longtemps (rupture des digues retenant les eaux du lac Ponchartrain) n’est pas imputable au pouvoir fédéral, mais avant tout à l’état de Louisiane et à la ville de La Nouvelle-Orléans. Les Etats-Unis ne sont pas une France en plus grand. Je veux dire par là que l’organisation des pouvoirs y est différente et que police, sécurité, organisation des secours et infrastructures ne sont pas de la responsabilité du pouvoir fédéral, qui ne dispose tout simplement pas du pouvoir constitutionnel pour intervenir. La Louisiane, et elle seule, était en première ligne.
3 – Le fait que George Bush ne se soit pas rendu en personne sur les lieux sinistrés constitue sans doute une faute de communication, mais pas une faute de gestion. En effet, ce n’est pas parce que le Président ne déambulait pas dans les rues de Biloxi dans les heures suivant le drame qu’il n’était pas correctement informé de la situation et qu’il n’a pas pris les mesures en son pouvoir en temps et en heure.
Nos contemporains sont tout de même assez paradoxaux : ils dénoncent la dérive spectacle de la politique ainsi que ses variantes compassionnelle, maternelle voire maternante, tout en reprochant en même temps aux responsable politiques de ne pas être présents sur les lieux de toutes les catastrophes ! Les hommes politiques français sont, il est vrai, passés experts dans l’exploitation à des fins politiques des malheurs charriés par l’actualité (de façon volontaire ou forcée). Une marée noire et le ministre de l’environnement chausse ses bottes pour arpenter les plages ; une famine et le ministre de l’action humanitaire décharge les sacs de riz des navires ; un gamin abattu dans une cité et le ministre de l’intérieur console les parents, lève l’index d’un ton vengeur et multiplie les coups de menton ; des problèmes à l’hôpital et le ministre de la santé passe la nuit dans un service d’urgences, en blouse blanche et stéthoscope au cou. Oh ! Je sais ! Ils n’ont rien inventé. Mussolini a inauguré le genre en moissonnant devant la presse convoquée au grand complet…
4 – Prétendre que les secours sont insuffisants en raison du nombre de troupes envoyées en Irak est un argument grossier et indécent. Une certaine gauche américaine est véritablement prête à faire feu de tout bois pour faire fructifier son capital électoral. Que faut-il faire ? Renoncer à toute opération extérieure sous prétexte qu’une catastrophe peut survenir sur le sol américain ?
5 – La misère s’acharne sur les plus vulnérables. La Louisiane et l’Alabama étaient déjà les états les moins riches des Etats-Unis. Katrina ne va rien arranger. Au sein même de ces états, ce sont les plus pauvres, noirs généralement, qui ont le plus souffert : certains n’ayant pas de voiture, ils n’ont pas quitté la ville ; déjà pauvres, l’ouragan leur a pris le peu dont ils disposaient ; leur avenir est bien sombre car il n’est pas assuré que les emplois qu’ils occupaient puissent être maintenus.
6 – Décidément, il ne faut point trop espérer du genre humain. Que certains aient pu profiter de la situation pour piller, violer, jouer le coup de feu contre les sauveteurs et les forces de l’ordre est désolant.
7 – Si impréparation il y a eu, elle est patente dans le secteur pétrolier. Il apparaît bien inconséquent de la part des Américains d’avoir concentré les raffineries de pétrole dans les régions soumises aux ouragans, ainsi que d’avoir des réserves de pétrole brut mais pas de pétrole raffiné (contrairement aux Européens).
8 – Faut-il reconstruire La Nouvelle-Orléans ? La question risque de se poser sérieusement. La ville restera au-dessous du niveau de la mer, et ce dans une région exposée aux ouragans. Ce qui vient de se produire peut se reproduire. La ville étant largement détruite, peut-être faut-il la reconstruire un peu plus loin. Le quartier français, fort heureusement, semble épargné, d’après ce que j’ai lu : il se trouvait au-dessus du niveau de la mer. C’est le cœur historique de la ville. Le reste, les bureaux, les habitations, les malls, pourrait sans doute être transposé dans une zone sûre.
9 – Et la France dans tout cela ? Nous avons proposé des tentes… Trop peu, trop tard. Il y avait là l’opportunité de rendre service aux Américains en leur prouvant que malgré certaines divergences politiques, nous sommes leurs fidèles amis. Il ne fallait pas mégoter. Les Américains eux-mêmes, au cours du XXème siècle ont été assez généreux avec nous pour que nous leur prêtions main-forte lorsqu’ils sont en difficulté. Encore une occasion ratée.
10 – Pour conclure ce post pas très joyeux, je voudrais me rappeler La Nouvelle-Orléans, telle que je l’ai découverte il y a quelques années. Une ville gaie, remplie d’orchestres de jazz et de personnes dansant dans les rues, des restaurants servant de la cuisine bien épicée vraiment délicieuse (et l’inoubliable jambalaya), une architecture coloniale témoignant de ce qu’avait pu être il y a quelques siècles ce vieux sud français… La Nouvelle-Orléans était l’une des villes les plus intéressantes des Etats-Unis, si vivante, si ouverte, si désinhibée, si fidèle à son passé aussi. J’espère qu’elle redeviendra cette métropole attachante, où l’on fêtait Mardi-Gras d’une façon inimaginable ailleurs aux Etats-Unis !
Les photos du désastre sont extraites du site : (http://www.universitet.us/forum/viewtopic.php?p=324#324), découvert grâce à l’indispensable http://insidetheusa.net