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"Chroniques transatlantiques"
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31 octobre 2005

Le Cas Miers

Quel sens de la dramaturgie ! Trahisons, dissimulations, coups de théâtre, enjeux de personnes et de pouvoir : l’actualité de la Cour suprême n’a rien à envier à « Dallas » ou à « Dynastie »…

L’explosion en plein vol de la candidature de Harriet Miers au remplacement de Sandra Day O’Connor au poste de juge à la Cour suprême n’est que le dernier épisode d’une série déjà riche en rebondissements.

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Officiellement, Miers aurait démissionné afin de protéger la confidentialité de ses travaux pour le compte du Président (lettre de démission : 102705miersletter.pdf). En effet, directeur des services juridiques de la Maison Blanche depuis le début du second mandat de George Bush, Miers se voyait réclamer par le Committee on the Judiciary du Sénat l’intégralité des travaux effectués pour le compte du Président dans le cadre de ces fonctions, ce afin de mieux connaître sa philosophie judiciaire (lettre d’Arlen Specter : 1024miers_specter1.pdf).

Ce motif n’est sans doute pas dénué de fondement. Les conseillers du Président et le Président lui-même ont légitimement besoin d’assurer une certaine confidentialité aux études et travaux réalisés au sein de l’administration présidentielle. Il demeure que Bush et Miers auraient du s’attendre à ce que les sénateurs réclament ce type de documents, et donc qu’ils se trouveraient en difficulté s’ils ne voulaient pas les communiquer. En effet, le processus de confirmation de John Roberts est récent, et de tels documents avaient déjà été réclamés (Roberts avait travaillé pour Bush Père, et certaines de ses études pour le compte du Président avaient mis en avant ses options plutôt conservatrices). Par ailleurs, Miers n’ayant été dans le passé ni juge, ni homme politique, ni professeur de droit (elle était avocat dans un grand cabinet d’avocat de Dallas, son parcours ci-après : hem_questionnaire_final.pdf), ses options en matière constitutionnelle restaient obscures, et il fallait s’attendre à ce que les sénateurs veuillent en savoir davantage.

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Cependant, le motif officiel du retrait de Miers, pour reposer sur un fondement solide, n’est sans doute pas le seul. 

L’absence de certitude quant à la solidité des convictions conservatrices de Miers est sans doute la principale cause de la désaffection manifestée à son égard par les milieux conservateurs.

Ceux-ci, voyant la possibilité de remplacer un juge conservateur mais ouvert sur les questions de société (O’Connor), veulent exploiter pleinement leur avantage et envoyer à la Cour suprême quelqu’un sur qui ils puissent compter pour modifier durablement les équilibres internes de la haute juridiction. On se rappelle que tant Warren (nommé par Eisenhower) que Souter (nommé par Bush Père) ont déçu leurs soutiens initiaux par le libéralisme dont ils ont fait preuve une fois installés à la Cour.

Les Républicains conservateurs ont visiblement retenu la leçon.

Or Miers a envoyé des signaux contradictoires qui ont fait douter d’elle dans les milieux républicains.

Ainsi, du côté « positif », (i) Miers est une chrétienne évangélique, une « Reborn Christian » bien connue dans son église à Dallas ; (ii) elle a donné des gages d’opposante à l’avortement (questionnaire Pro Life rempli par Miers en 1989 : miers_tulpac.pdf) ; (iii) elle a clairement affirmé qu’il ne revenait pas aux juges de légiférer à la place du Parlement.

Du côté « négatif » (toujours du point de vue des plus conservateurs), Miers (i) a fait un don de 1000 $ au comité de campagne de Al Gore en 1988 et a financé la campagne d’un sénateur démocrate (elle finançait le Parti républicain en même temps, il est vrai) ; (ii) conforme en cela à l’attitude de Roberts, elle s’est refusée à exposer sa philosophie personnelle en matière d’avortement, de mariage homosexuel et de peine de mort ; (iii) dans un discours prononcé en 1990, Miers a dit (contredisant complètement le questionnaire de 1989 sus évoqué) que les femmes devaient rester libres de décider si elles souhaitaient procéder à un avortement.

Ajoutons que l’appui que lui ont manifesté les Démocrates, et singulièrement Harry Reid (dirigeant la minorité démocrate au Sénat), a sans doute fait tiquer la frange la plus conservatrice du Parti républicain.

Toujours est-il qu’une campagne destinée à littéralement « éjecter » la candidate du Président a été promptement mise en place afin que Miers ne commence même pas le cycle des auditions devant le Sénat : le groupe de Chrétiens évangéliques « Women for America » a déclenché les hostilités, rapidement suivi par certains des plus célèbres éditorialistes conservateurs, la bataille se poursuivant sur le web (www.withdrawmiers.org, maintenant fermé et http://www.betterjustice.com/). Ils ont eu sa peau.

Avec  une majorité républicaine représentant 55 sénateurs sur 100, la Maison Blanche pouvait difficilement rester sourde aux protestations venues de la base, cette « grass roots America » conservatrice à laquelle Bush doit d’être président. Plus que conservatrice en fait, cette Amérique-là est réactionnaire. Elle veut des juges qui reviennent clairement sur nombre d’ouvertures libérale des 30 dernières années et obtenues le plus souvent à l’issue de votes à cinq contre quatre au sein de la Cour suprême. Elle veut une véritable révolution morale. Bush n’est pas le plus conservateur de sa majorité, loin de là, ainsi qu’en atteste sa nomination de Miers et de Roberts. Il se serait bien accommodé de juges conservateurs certes, mais respectant les grands équilibres de la Cour.

Le rappel à l’ordre a été parfaitement compris de la Maison Blanche. En désignant ce matin même comme nouveau candidat au remplacement de O’Connor le juge Samuel Alito, elle répond clairement aux attentes de ceux qui rejetaient Miers : plus de quinze ans en tant que juge d’appel fédéral, opposant ferme à l’avortement, Alito est parfaitement dans la lignée de Scalia et Thomas, les deux membres ultraconservateurs de la Cour suprême.

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Mais attention, sa confirmation n’est pas encore acquise, car maintenant, on peut s’attendre à une offensive majeure des Libéraux et Modérés pour faire barrage à cette candidature. Au moins, dans la lutte à venir, Bush se retrouvera-t-il à combattre ses opposants traditionnels et non les propres membres de son parti…

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