"Gunner Palace"
Quelques films commencent à être réalisés sur la guerre des Etats-Unis en Irak. Les Américains sont prompts à porter sur les écrans des épisodes récents de l'histoire contemporaine, ainsi que "United 93" et "World Trade Center" le prouvent.
"Gunner Palace" n'est pas une fiction. C'est un documentaire portant sur la vie au quotidien d'une unité d'artillerie de l'armée américaine (les "gunners", soit les artilleurs) qui a pris ses quartiers dans un ancien palais de Ouday Hussein, l'un des fils de Saddam Hussein.
Il ne faut donc pas compter sur un récit narratif avec un début et une fin, d'ailleurs, ainsi que l'énonce le commentateur à la fin du documentaire : "à la différence d'un film, il n'y a pas ici de "Happy end", la guerre continue".
Patrouilles sur les routes, humvees pris dans les embouteillages, chasses aux lanceurs de RPGs, recherches d'informations, tentatives de séduction des notables, opérations musclées chez des membres de la guérilla, actions humanitaires...
Le reportage est touchant, pro-armée sans aucun doute (le réalisateur est un officier de réserve et les bénéfices sont affectés aux familles des soldats tombés au champ d'honneur), mais plus réservé sur les opérations conduites par l'armée américaine en Irak. La démotivation des troupes apparaît clairement : si l'officier responsable de l'unité déroule le discours officiel sans ciller ("nous sommes là pour les Irakiens et nous partirons lorsque la situation sera stabilisée"), les soldats disent ne pas avoir le sentiment de défendre leur pays, raison première de leur engagement.
L'unité d'artillerie en question est stationnée en Allemagne normalement, et était destinée à un choc frontal avec les troupes du Pacte de Varsovie. Ces types-là étaient préparés à faire la guerre, pas à occuper le terrain, à pacifier, à courir après les voleurs, à palabrer des heures durant avec les cheikh locaux. Ils passent le plus clair de leur temps à pourchasser un ennemi qui se dérobe devant eux. Ils sont attaqués au mortier pendant la nuit, ou sont victimes des IED (Improvised Explosive Device : bombes artisanales explosant au passage des véhicules américains), responsables du plus grand nombre de victimes américains jusqu'à présent.
En parallèle de ces images de soldats risquant leur vie au quotidien, on entend les commentaires triomphants de la radio de l'armée américaine en Irak ainsi que des déclarations de Donald Rumsfeld sur "la situation en Irak qui se stabilise" et "les progrès qui sont réalisés jour après jour vers un Irak libre" : le décallage avec les images est cruel...
Quelques personnalités attachantes se dégagent :
Un jeune du Colorado âgé de 19 ans, engagé à 17 ans, expliquant sa fierté de rentrer un jour dans son patelin en vétéran, mais craquant à l'évocation de ses camarades tués en opération, et avouant : "tous ces morts ne servent à rien".
Un sergent féminin de 25 ans racontant en s'exclafant la surprise des Irakiens lorsqu'ils voient des femmes dans l'armée américaine.
Un jeune capitaine visitant un orphelinat et prenant un enfant dans ses bras : son épouse a accouché deux semaines auparavant, alors qu'il était en Irak.
De jeunes soldats noirs qui crient leur rage en chantant du rap.
Et, enfin, les traducteurs, informateurs, et soldats de la nouvelle armée irakienne. L'un d'eux, un informateur qui accompagne les soldats US dans toutes leurs opérations explique : "Certains nous considèrent comme des traîtres, mais nous faison cela pour l'Irak. Pour qu'un jour nous puissions vivre en paix, dans un pays libre." L'Irak aussi pourrait avoir ses harkis si les Américains partent en catastrophe, comme ils l'ont déjà fait dans le passé au Vietnam et au Cambodge.